Jamaïque #2, En route pour Savanna-La-Mar

J’étais donc dans le minibus, coincée entre une jeune fille qui dormait sur mon épaule et une grosse madame antipathique. Il faisait nuit. La végétation en bord de route est tropicale, du type petite jungle, et ça c’est chouette. Petite route de montagne (car il y a des montagnes en Jamaïque, dès qu’on s’éloigne de la côte), et le chauffeur conduit comme dans un rallye (franchement j’ai cru qu’on allait mourir à deux ou trois reprises).
Comme le chauffeur de taxi m’avait dit que Sav’ c’était en dehors de MoBay, je savais que le trajet allait durer un certain temps mais encore une fois, une heure, c’est long !
Le minibus s’arrêtait régulièrement pour déposer des gens. A chaque fois nous devions tous descendre pour laisser passer la personne qui descendait, parce que bien sûr, ceux qui descendent les premiers s’étaient mis au fond du combi et non pas près de la porte… Au moins, ça te rythme le voyage et ça te permet de prendre l’air de temps à autre.

Au bout d’un moment tout de même, je commence à m’inquiéter. Les gens dans le bus savaient parfaitement où ils allaient et criaient « Driver ! » quand il fallait s’arrêter. Moi, je ne savais pas où driverj’allais ni à quoi ressemblait Sav’ ou l’arrêt Juici Patties, et bien qu’ayant informé le conducteur de ma destination, je me demandais si à tout hasard, je n’avais pas loupé l’arrêt.
Je demande à la grosse madame, qui finalement n’était pas si antipathique que ça puisqu’elle m’a répondu « c’est bientôt » et qu’une fois arrivés elle a crié « driver ! » pour moi.

Et là, magie, Samantha m’attendait amicale et souriante dans son tee-shirt rose bonbon.

– T’es facile à trouver, me dit-elle, t’es la seule blanche du bus.

Cool.

Elle devait passer à l’épicerie, et moi j’avais un petit creux, je demande donc s’il y a un snack typiquement jamaïcain que je pourrais m’enfiler, en repensant au bœuf en croustade dont me parlait l’autre chauffeur de taxi. Elle m’emmène donc à Juici Patties, qui en fait n’est pas un lieu-dit ni un arrêt de bus, mais une chaîne locale de fast food. Et le boeuf en croustade, c’est en fait une bouillie de boeuf épicé (très épicé!) qu’on te fourre dans une demi-lune de pâte feuilletée, c’est moyen et ça pique. Enfin j’arrête de râler parce que ça m’a rempli l’estomac, donc ça a fait son job.

juici patties

Allez, Samantha a fait ses courses, et on va à la maison ! Encore un petit taxi, juste pour le fun, 2 sur le siège passager et 4 sur la banquette arrière, fastoche. Tout ça sur un fond de reggae, pour me mettre dans l’ambiance. On descend sur un bord de route, j’y vois rien parce qu’il fait nuit noire, y a pas l’éclairage public. Mais avec mes yeux lasers de chat qui voit dans le noir (FAUX[3]), je n’ai pas trop l’impression qu’il y ait des maisons dans le coin.

Il faut marcher un peu, me dit-elle. Petit chemin fait de trous, de bosses, de cailloux et de touffes d’herbes, environ 500m, la valise ne roule pas il faut la porter. 16kg, je meurs.
Elle m’explique qu’il y a deux maisons côte à côte, la sienne et celle de sa mère, et que je peux dormir où je préfère, mais que sa mère se couche tôt et qu’elle ne parle pas anglais mais jamaïcain. Le jamaïcain, c’est en fait une sorte de dialecte de l’anglais très poussé, donc impossible à comprendre si t’as pas les bases. Un peu comme le créole. Déjà que, quand Samantha elle-même parle anglais, avec un fort accent, je dois faire un effort de concentration non négligeable pour comprendre ce qu’elle dit…

Je te rappelle qu’à ce stade il est environ 18h (heure locale), donc minuit pour moi (heure bretonne), et que j’ai fait nuit blanche la veille. Donc par « concentration » tu dois entendre « ho mon Dieu c’est beaucoup trop dur j’y arriverai jamais je vais mourir ».

Et en effet, en arrivant, je n’ai rien compris à ce qu’a dit la Mama si ce n’est « good night ». Pour te donner une idée, « me com’ ba’ » ça veut dire « I will come back ». Ça peut surprendre.
Je vais me coucher dans la « maison » de Samantha (que je qualifierais plutôt de cabane), et qu’elle partage avec sa belle-sœur. Le lendemain elle m’expliquera que la belle-sœur, elle n’est pas mariée à son frère, que c’est juste sa copine, et que son frère a émigré au Canada pour aller retrouver son père, qui a divorcé de Mama pour aller épouser une canadienne.

Bref. Il est 20h (heure locale), 2h du matin (en Belgique), Samantha repars en ville voir une copine et me laisse dormir parce que là, je suis au bout de ma vie. Avant de me coucher, je me fume une petite cigarette sur le proche (la première depuis Bruxelles!). Echec. Après deux taffes, une bête sauvage déboule en rugissant de nulle part dans la nuit pour m’attaquer, je ne vois rien mais je l’entends bien qui se rapproche et prise de panique, je me réfugie à l’intérieur. Il s’avèrera le lendemain que c’était un tout petit chien à peine deux fois plus grand qu’un chihuahua. Tu parles d’une aventurière.


À 4h du matin heure locale, je me suis réveillée, complètement déphasée par le décalage horaire. J’ai mal dormi. J’ai eu chaud, trop chaud, j’ai sué (encore), et je me suis fait dévorer toute crue par des moustiques assoiffés de sang toute la nuit. Je me suis couverte le corps et le visage pour lutter. Du coup, j’ai eu encore plus chaud. J’avais pourtant apporté un spray anti-moustique tropical, spécial contre les moustiques les plus balèzes du monde. Mais j’ai oublié de m’asperger.

Les coqs commençaient à chanter (en fait il caquètent plus qu’autre chose, les coqs jamaïcains). J’ai traîné au lit jusqu’à 6h, parce que 4h c’est vraiment trop tôt, du moins dans mon imaginaire. Et là, surprise ! Samantha rentre dans la chambre, il est 6h du matin, il fait encore nuit, et tout le monde se lève tranquillement, la Mama, les voisins… Un dimanche ! Ma doué !

Mama s’affaire dans la cuisine, Samantha fait sa lessive, je demande si je peux aider et on me dit non, non. J’en profite pour regarder un peu le décor à la lumière du soleil levant, que je n’avais pas pu voir en arrivant. C’est chouette, c’est beau.
On est à flan de colline, la végétation est touffue, très verte, le soleil chauffe tout doucement, il y a de la musique partout… Tiens parlons-en, de la musique. Mama a mis la radio à fond. Entre deux morceaux de musique rythmée (plutôt type « musique des îles » que reggae), un pasteur prêche. Et ça a prêché toute la matinée ! Jésus ceci, Jésus cela, les pages de pubs disent des trucs du genre « apprends à devenir un chrétien exemplaire », « comment mener sa vie en bon chrétien » etc. En écoutant plus attentivement les chansons, je me rends compte que les paroles sont très, très religieuses aussi.

J’ai comme un air de déjà-vu, comme une envie de me baigner dans un long fleuve tranquille. Et Samantha les chante à tue-tête en faisant sa lessive, à défaut de jouer de la guitare. La lessive c’est « old school »: une bassine d’eau mousseuse, une brosse, et hop on astique.

Jamaïque

La propriété est rustique. Mais il y a l’électricité, l’eau courante, et internet en wifi. En fait, je suis dans un genre de bidonville, sans le bidonville. Les voisins sont assez loin. Cabane sur pilotis, quelques déchets éparpillés dans le jardin (moins qu’au Botswana ceci dit, Baboune dirait que c’est propre, même[5] ). Pour se laver les dents, c’est un robinet au fond du jardin. La douche c’est idem, sauf que le robinet est à hauteur d’homme pour se mettre en dessous, et qu’il y a deux bouts de taule plantés dans le sol pour avoir un peu d’intimité. Je n’ose pas demander où sont les fameuses toilettes cassées, je me dis que si ça se trouve, je n’y serais pas allée même si elles avaient été en état de marche. Aujourd’hui, ami lecteur, tu as droit à des photos pour illustrer, regarde.

Sav'

En fait on attend qu’il soit 8h pour appeler la société de bus « de luxe » qui doit m’emmener à Kingston ce dimanche, le Knutsford Express. Ici il n’y a pas de train, c’est soit la route soit l’avion pour traverser l’île. D’après le site, le bus au départ de Sav’ est complet, ainsi que celui de MoBay. C’est mal barré. Samantha me dit qu’au pire, je peux prendre un minibus-combi pour Kingston, mais je ne suis guère enchantée à cette idée, sachant que Kingston c’est 4h de route, et que je ne sais même pas où je dois me rendre, tandis que le bus de luxe s’arrête non loin de l’appartement où je vais et que la proprio m’envoie un taxi pour me récupérer.

En attendant je croise les doigts et je me tourne les pouces. J’aurais bien pris un café mais elle n’en a pas.

Avec son accent à couper au couteau, Samantha me sort « tu veux un coca light ? ». Je me dis c’est bizarre, un coca light, à 7h du mat’ comme ça, mais pourquoi pas. J’ai soif et je dis oui, avec plaisir. Imagine ma surprise quand je la vois sortir de la cuisine avec… une machette.
Ben oui, en fait elle n’avait pas dit coca light. Elle avait dit coconut. Pof tchack, elle me coupe une noix de coco toute verte du cocotier dans le jardin, me l’ouvre, et je bois son eau. C’est un peu fade, mais super atypique. Je suis contente.

Photo 4

Entre temps on a appelé le Knutsford Express, et ouf ! Il y a une place pour moi dans celui de MoBay, malgré ce que disait leur site.
En attendant qu’il soit l’heure de partir, je traîne. Trois types débarquent. Apparemment, ils vont construire une maison juste là, dans le jardin. J’avais pas réalisé mais en effet, il y avait un tas de planches stockées dans un coin. Un des types, style rastafari grisonnant, fume un gros pétard (très gros, comme dans les caricatures) et n’arrête pas de se marrer. Il me demande si je ne voudrais pas l’épouser, à tout hasard. Je décline poliment. Il se marre. L’autre, le maître d’œuvre apparemment, papote à l’ombre avec Mama. Le troisième coupe les planches. À ce rythme, je ne sais pas quand elle sera construite, la maison. J’ai dit que je reviendrai dans quelques semaines pour voir.

Samantha a fait des pancakes pour le petit déjeuner, sur les coups de 8h30. Sirop de noix de muscade en accompagnement. Ça ressemble au sirop d’érable. Miam ! Tandis que je fais la vaisselle, j’entends Mama qui se met à crier. Elle hurle je ne sais quoi en créole jamaïcain, elle crie les mains en l’air vers le ciel, encore et encore, en déambulant dans le jardin. Elle n’a pas l’air contente, je me fais toute petite dans la cuisine. Elle me passe devant, s’arrête de crier, croise mon regard, et se remet à hurler de plus belle. La Mama, elle est peut-être un peu folle en fin de compte.
L’heure du départ arrive, et je vais me retaper l’itinéraire d’arrivée en sens inverse – c’est à dire de Sav’ à MoBay. Je porte la valise jusqu’à la route, et Samantha me met dans un taxi pour aller au Bus Park de Sav’. Le conducteur du bus pour MoBay me dit que je vais devoir payer le double parce qu’il n’y a plus de place dans le coffre et que je dois payer un siège pour ma valise. Chiotte.

Une nana monte dans le minibus avec un bol de soupe. J’y crois pas. Elle va boire la soupe dans le bus ??
Faut bien que tu comprennes que la route est chaotique, et que le minibus est une machine à soubresauts, un peu comme à Disneyland quand ils te font trembler tout l’engin pour te faire croire que t’es pris dans un tremblement de terre. Et bien crois-le ou non, elle a bu sa soupe. Et 20 minutes plus tard, sans crier gare, elle l’a vomie.
Elle a vomi sur tous les passagers autour d’elle, et dans son sac à main. Heureusement, j’ai eu du bol, j’étais sur la banquette de derrière. En général quand il s’agit de vomi, je ne suis pas toujours aussi chanceuse… Mais ça, je te le raconterai une autre fois ! 😉
Le bus s’est arrêté, et tout le monde a mis la main à la pâte pour l’aider. Elle est sortie prendre l’air, je lui ai passé ma bouteille d’eau, untel avait des lingettes, un autre, des chewing-gums, une autre, un sac à vomi (un peu tard), etc. C’est beau, la solidarité.
Arrivée à MoBay, le chauffeur m’a déposée au Knutsford Express, dont l’arrêt de départ se trouve juste au bord de la mer.

– Yallah !!! me dis-je, c’est parti pour Kingston.

Allez, à ciao bon dimanche

[3] Ceci est une référence à Norman. Si tu connais pas, t’es pas « in ».

[5] Baboune, c’est ma cops’ copine. On est parties ensemble au Botswana.

©matthew wonson pour la 1ère photographie 

2 Comments

  1. 6 septembre 2016

    Je suis au bureau, je découvre ton blog, et je manque de me faire pipi dessus. Le coca light/coconut m’a fait mourir de rire.
    MERCI.

    • laura
      20 septembre 2016

      Haha, de rien ! Toujours contente de faire rire les gens ! 😉

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